Qualif en solo 4/5 – Du chenal du Four à Rochebonne
Chenal du Four : balises de la Grande Vinotière et du Rouget – Molène en arrière-plan
De retour d’Irlande, après avoir franchi le rail d’Ouessant, je me rapprochais du continent…
Il faisait nuit noire. Les heures était longues. Je naviguais au vent arrière en direction du chenal du Four. Il était 2h du matin et j’étais loin de me douter que j’allais vivre les minutes les plus dangereuses de ma qualif. Seuls les éclats des phares du Créac’h sur Ouessant et du Four sur le continent étaient visibles.
La marée devait descendre jusqu’à 3h40, avec un coefficient medium de 63. Pour moi, qui m’engageais alors dans le chenal du Four, cela signifiait que le courant allait se retourner contre ma route à 3h40 mais qu’il ne serait pas trop fort puisque le coefficient était moyen.
Les courants de marée sont comme un tapis roulant en mer. Ils m’entrainent dans leur direction. Si le courant et mon bateau vont dans le même sens, je suis alors boosté par rapport au fond qui lui est immobile. Le courant est avec moi. Si au contraire le courant est dans le sens contraire à ma direction, je suis ralenti voire même je recule.
La vitesse du loch est la vitesse du bateau sur l’eau. Lors de navigation avec du courant, elle est différente de la vitesse du GPS. Cette dernière donne la vitesse du navire par rapport au fond fixe.
J’allais certainement me retrouver avec le courant du chenal Four contre moi. Je me suis dis que j’allais devoir forcer un peu le passage contre le début de la montante mais que ça irait parce que j’étais au vent arrière.
Je devais me frayer un chemin entre tous les rochers pour rejoindre le balisage rouge et vert du chenal du Four. J’étais heureux de revenir vers une côte que j’ai si souvent arpentée, et en même temps tendu de m’attaquer au chenal du Four de nuit. Je croisai la route d’un gros bateau de pêche qui, lui, sortait dudit chenal. Cette rencontre apparaissait comme un signe pour me dire « C’est bon, un bateau en vient. C’est par là. Bonne nav ! »
Vers 4h du matin, au gré des empannages sous grand voile et foc seuls, j’atteignis les premières balises latérales. Leurs feux se cachaient parmi les nombreux autres allumés à la fois sur la côte et les iles de Ouessant et Molène. Le courant s’inversait et forcissait contre moi. Le vent était resté soutenu à 20 nœuds. Je commençais à sentir l’effet du courant en voyant ma vitesse GPS baisser par rapport à la vitesse du loch. La différence dépassait le nœud. Bien que de petites vagues courtes se formaient à cause du courant contre le vent, la situation restait gérable. Je m’enfonçais doucement et sûrement dans l’endroit le plus resserré du chenal, là où les roches de l’archipel de Molène viennent au plus près du continent. Là où le courant était le plus fort. Deux balises latérales marquent l’endroit. La rouge qui s’appelle la « Grande Vinotière » est une tour construite sur une roche et la verte qui s’appelle « Le Rouget » (tout ne s’explique pas…) est une balise flottante. Tout l’enjeu était donc de viser entre les deux. Le courant s’intensifiait à mesure que je m’engouffrais et les vagues se creusaient. Je ne marchais plus qu’à 3 nœuds sur le fond si bien que je larguai un ris dans ma grand voile pour donner plus de puissance au bateau. Finalement, à hauteur de la Grande Vinotière, ma vitesse GPS chuta encore pour atteindre 2 nœuds. Il devenait très difficile d’avancer. Le phare de la pointe St Mathieu éclairait par intermittence toute cette zone de danger avec son long cône de lumière. La coque surfait sur les vagues qui avaient encore grossi. Je me rapprochais plutôt de la balise flottante « Le Rouget » qui n’était pas entourée de cailloux. J’entendais les bouillons du sillage que formait le courant autour de la bouée. Je ne progressais quasiment pas et pourtant le Mini dévalait les vagues une à une risquant à tout instant de partir au lof dans l’une d’elles. Je butais contre le courant et le moindre écart de cap me projetait sur les bords du chenal. La situation était devenue dangereuse sans que je m’en rende compte. A l’instant où je dépassai finalement le Rouget, je perdis le contrôle du bateau. Il partit à l’abattée, empanna et se coucha en travers de la route. Là, ce n’était plus drôle du tout. Je risquais de cogner le bateau contre le Rouget. J’avais beau me démener, inexorablement, le courant me faisait reculer et me ramenait dedans. Alors que le bateau n’était pas tout à fait remis à endroit, j’évitai la balise de peu. Je réussis à remettre le bateau au vent arrière et reprendre ma route pour cesser de reculer par rapport au fond. Il fallait dépasser la balise en évitant de me la payer cette fois-ci. Je me battais contre 4 nœuds de courant pour m’extirper de cet endroit infesté de cailloux. Petit à petit, je réussis finalement à devancer le Rouget, la Grande Vinotière, puis à me rapprocher de la côte pour avoir finalement moins de courant. Ce n’est pas avant 6h du matin que je pus enfin distancer le phare de la pointe St Mathieu et récupérer une vitesse de fond acceptable de 5 nœuds.
Enfin j’étais sorti du courant, enfin j’étais sorti des cailloux et enfin j’allais pouvoir me reposer.
Je n’étais finalement pas tout à fait sorti d’affaire, mon système AIS m’alerta peu de temps après d’une route de collision. Effectivement, à l’horizon ouest un bateau très lumineux était apparu. Fatigué jusqu’à l’énervement, je changeai ma trajectoire pour l’éviter et retournai me reposer. Mais même avec ça, mon système AIS sonna de nouveau. Le bateau à l’horizon avait changé de direction lui aussi pour me pointer d’avantage. Encore plus énervé envers cet inconnu qui semblait n’avoir qu’une envie, celle de me percuter, je retournai sur le pont pour analyser la situation. C’était en fait un énorme bateau de croisière qui venait d’axer sa route pour entrer en rade de Brest. J’étais en plein dans son passage. J’ai dû faire un grand écart de route pour passer derrière cet immeuble flottant.
Maintenant c’était sûr, alors que le jour se levait et que j’approchais de la pointe du Raz, j’allais enfin pouvoir me reposer.
Journal de bord : « 10h Passage du raz de Sein. Un peu comme un nouveau départ. Les conditions sont faciles et il fait beau. Je vais me reposer aujourd’hui. »
Le passage du raz de Sein est toujours un peu particulier. Il s’agit avant tout de franchir le cap Sizun pour sortir de la mer d’Iroise et naviguer vers des côtes plus douces au Sud. Il est pointé vers l’océan et donc secoué de plein fouet par les tempêtes. Mais au-delà de ça, le raz est surtout sujet à de violents courants grossissant les vagues jusqu’à les faire déferler. Et c’est de là que lui vient sa réputation et surtout son nom : « le raz ». Selon la définition, un raz est un courant marin violent dans un passage étroit, en l’occurrence entre l’île de Sein et le cap Sizun. On dira le plus souvent, « j’ai passé le raz » que « j’ai passé le cap Sizun ». Cette habitude signifie que la difficulté n’est pas de passer le cap mais de franchir ses courants.
Mais pour moi cette fois-ci, les conditions étaient réunies pour un passage du raz en toute sécurité. Le vent était faible et dans ma direction, le courant s’était inversé pour être à présent avec moi. Il faisait même beau ! La Plate et la Vieille sont passées derrière moi sans difficulté.
J’ai attaqué le franchissement de la baie d’Audierne avec un seul objectif : dormir. Cette baie s’y prête bien. Elle est très, très longue et quasiment sans intérêts.
Après plusieurs heures entrecoupées de siestes, j’arrivai au large du phare Eckmühl. Ma route quittait désormais les côtes pour contourner les balises du plateau de Rochebonne.
Le soleil frappait fort et vers midi une brise thermique tenta de s’installer en perturbant le flux de Nord installé. Je me suis retrouvé empétolé (c’est-à-dire dans la pétole (c’est-à-dire dans la molle (c’est-à-dire dans une zone sans vent (c’est-à-dire que je n’avançais pas du tout)))) au beau milieu d’un groupe de bateaux de pêche qui tournoyaient au large du Guilvinec. Après que le flux de Nord eut fini de se faire embêter par la brise thermique, il put reprendre sa poussée dans mes voiles et moi une vitesse convenable à plus de 8 nœuds sous grand spinnaker. Je ne voyais maintenant plus la côte ni les pêcheurs. J’avais plus de 300 km devant mon étrave avant de retrouver la terre, à l’ile de Ré. Le soleil descendait sur l’horizon alors que j’enchaînais les surfs à la barre. Même les dauphins étaient de la partie.
Le vent est monté jusqu’à 20 nœuds. J’allais très vite. C’était que du bonheur. Mon pilote automatique barrant toujours mal aux vents portants, je devais rester à la barre pour garder le spinnaker hissé. Alors que la fatigue revenait avec la nuit, j’affalai mon spi. Le bateau se stabilisa et je laissai la barre à mon pilote. J’avançais encore à une vitesse respectable de 6 nœuds. Je me suis calé à l’intérieur du mini pour préparer mon diner et enchaîner de longues siestes dans la nuit. Le trafic était si faible et le bateau si stable que j’ai pu m’accorder plusieurs siestesde plus de 45 minutes jusqu’au lever du jour.
Je me sentais vraiment à l’aise avec le bateau parce que j’arrivais à prendre soin de moi. J’étais seul en pleine mer depuis maintenant plus de 4 jours, avec l’Irlande, l’Angleterre et la Bretagne dans ma trace. Une sensation de sérénité s’était installée en moi.
Journal de bord : « 9h J’ai beaucoup dormi cette nuit par tranche de 1h. Ce matin j’ai envoyé le medium. Le pilote tient. Plus que 18 milles avant Rochebonne. »
Le lendemain, vers midi je contournai les balises du plateau de Rochebonne. Un ou deux bateaux de pécheurs étaient aussi présents. Il parait que la pêche est meilleure au niveau des hauts-fonds. Il ne restait plus qu’un long bord de spinnaker avant de rejoindre l’Ile de Ré.